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Préambule

En janvier 2020, Marion Mounic a eu la gentillesse de me recevoir pendant sa résidence à l’AFIAC dans le Tarn. Elle m’a d’emblée montrer son atelier éphémère rempli de pièces et d’expérimentations. Un préambule parfait à l’entretien qui allait suivre. Car tout de suite j’ai compris empiriquement de quel bois Marion se chauffe dans son travail : vraie bosseuse dans la matière, profusion dans les recherches. Il transparaît une volonté et des choix affirmés, dans son œuvre comme dans sa manière de mener sa carrière. Déterminée et dessinant ses limites dans ce qu’elle veut et ne veut pas accepter dans les projets auxquels elle participe. Ensemble on a parlé métaphores footballistiques, parcours biscornu, relativisme et joies du collectif !

Le style de l'entretien reste oral pour garder la spontanéité de l'échange. L'écriture inclusive non-différenciée, c'est à dire le féminin ou le masculin venant en premier aléatoirement sur les mots genrés, est un parti-pris assumé. Car comme dirait une amie « Je ne suis pas qu'un « e » à la fin d'un mot ». Cette entretien a été réalisé en janvier 2020 en ère "pré-covidienne". Certains projets ou expos évoqués ont depuis été déplacés et/ou annulés mais d'autres ont aussi émergé ! Stay tuned pour des nouvelles des artistes interrogé.es et des « que sont-ils devenu.es ?! » ! Bonne lecture !

 

Paye Ton Artiste : Salut Marion ! Je te remercie d'avoir accepté l'entretien. Marion Mounic de ton nom complet. Là, tu m'accueilles dans ta résidence à FIAC dans le Tarn1. J'adore ! Toi en ce moment tu as plein de projets et l'Afiac est l'un d'entre eux. A l'heure où on parle, tu es toujours exposée aux Abattoirs, tu es une des artistes qui a eu le Prix Mezzanine Sud 2019 2. Et tu as une production autour du volume si je ne m'abuse.

Marion Mounic : Oui c'est ça ! Bah déjà merci à toi d'être là, c'est cool. Du coup oui, c'est vrai que ma production s'oriente plus vers du volume et en même temps c'est parfois très immatériel. Je me situerais entre la sculpture et l'installation sans être pleinement dans l'un ou dans l'autre en me laissant tous les champs du possible ouverts.

PTA : Dans ta démarche, ce que moi j'en avais perçu, c'est qu'il y avait beaucoup de choses autour de la narration et aussi l'accident. Beaucoup de mythologie personnelle, j'utilise vraiment le terme mythologie parce que j'ai l'impression qu'il y a toute une épopée autour et tu joues avec.

Marion Mounic : Ça n'est pas quelque chose que j'ai vraiment choisi dès le départ. C'est pendant mes études aux Beaux-Arts je me suis rendue compte que j'étais orientée vers ces questions là. Ce sont des choses qui m'ont toujours portées et qui m'ont construites. Ça a trouvé pleinement sa place dans mon travail plastique mais j'ai envie de dire que c'est juste arrivé comme ça. Mon premier projet ça a été de faire des playmobils en porcelaine. Rien de ma mythologie personnelle là-dedans, si ce n'est que j'aimais bien les Playmobils comme la majorité des gamins ! Donc c'est vraiment quelque chose qui est arrivé petit à petit. Mon histoire personnelle, pour moi c'est mes points d'ancrage, c'est ma cuisine interne c'est comme l'ingrédient secret que tu mets dans ta recette, tu vas le dire à ta famille, à tes meilleurs potes. Ce qui me dérange un peu c'est que j'ai tendance à voir que quand on parle de mon travail on revient beaucoup sur ces choses là alors que pour moi le travail est à côté. Il s'y passe autre chose que cette mythologie personnelle. Ce que j'essaye aussi de faire quand je crée c'est repartir de ce point d'ancrage là parce que c'est ce qui me porte, mais je fais aussi en sorte que les installations et les œuvres que je crée viennent interroger une mémoire collective, qu'elles parlent à tout le monde. Et même si elles ne parlent pas à tout le monde, elles ne parlent pas réellement de mon point d'ancrage. Je trouves ça toujours très intéressant que les gens y voient autre chose. C'est aussi un entre deux où des discussions peuvent se créer plutôt que si tout de suite on me ramène à ma propre histoire. Quand je fais des entretiens avec des journalistes souvent je trouve qu'ils parlent un peu trop de mon intimité  souvent je leur dis "ça on supprime" parce que j'ai pas envie de le partager.

PTA : C'est important de le rappeler parce que justement on peut vite prendre des perceptions pour des réalités. Je saute sur la deuxième question par rapport au parcours personnel. Comment en es-tu arrivée jusque là ?

M.M : J'ai un parcours "biscornu" on va dire. J'ai fait un lycée sport/étude foot féminin au Mirail rive gauche à Toulouse. Suite à ça, j'ai fait un BTS communication des entreprises. De là, j'ai tenté histoire de l'art pendant 2 mois, c'était pas pour moi ! La fac ça n'était pas du tout le genre de système qui me convenait et paradoxalement j'ai fini aux beaux-arts. Après j'ai travaillé un an dans une agence de pub à Toulouse. Puis je suis partie en licence de design graphique, dans l'idée de devenir graphiste et d'éventuellement me mettre à mon compte ou en collectif. Il se trouve que pendant la licence je me suis prise d'amour pour la typographie, donc j'ai voulu faire la dernière école de typographie de France à Amiens. Et en fait, je me suis pétée la cheville en skate, j'avais un plâtre, je devais monter à Amiens avec mes cartons à dessin et en même temps j'avais été accepté pour passer à la commission d'équivalence aux beaux-arts de Tarbes 3. On m'avait parlé des beaux-arts, un de mes profs m'avait soumis l'idée de les intégrer. C'était un très bon prof pour moi, il apprenait vraiment ce qu'était le graphisme, que c'était pas juste aller flâner sur behance 4 pour prendre des références mais il encourageait plutôt à créer ses propres textures . Comme mon carton d'invitation là 5, ça vient plutôt d'un geste que d'un motif répété. Donc le plan c'était de faire les beaux arts pendant deux ans, d'arrêter puis de m'installer à mon compte en tant que graphiste. Finalement je me suis totalement faite aspirée par les beaux-arts et je n’en suis jamais sortie.

PTA : Aujourd'hui tu as l'impression de toujours utiliser ce côté de graphiste dans ce que tu fais ou pas du tout ?

M.M : J'ai vraiment l'impression d'être loin de ça maintenant et en même temps c'est aussi ce qui permet de me porter ailleurs. Ma fascination pour les néons, par exemple, elle était déjà là en tant que graphiste, la typographie aussi. Ce sont des ambiances et des univers graphiques qui portent mon travail plutôt que le graphisme lui-même. Je pourrais encore très bien bosser en graphisme, je le faisais pour mon collectif, mais maintenant pour moi-même je trouve ça hyper relou de faire rien qu’une invitation ! Je ne suis plus du tout dans ces questions là. Je n'ai plus le même plaisir à faire du graphisme.

PTA : De ce que tu me dis tu t'es faite happée par les beaux-arts. Tu te souviens du déclic ou du moment où tu t'es dis que tu avais envie d'être plasticienne ? Tu t'attendais un peu au fait que c'était une voie "compliquée" ?

M.M : Je ne pense pas qu'il y ait "un" moment précis. C'est plein de facteurs. Notamment quand on a créé un collectif avec cinq amis en troisième année, il y a eu une espèce de coup de cœur amical qui a fait qu'on a eu envie de faire des choses ensemble, on était motivés. Avec le fait d'être dans une petite école on avait l'espace pour le faire. Ce collectif nous a vraiment porté dans une idée de faire et d'agir plutôt que dans un travail commun. On avait chacun notre travail, si bien qu'on a jamais créé une seule pièce ensemble si ce n'est ce fameux gâteau à la broche6 . C'était plutôt un moment de partage et un moment où on "fait" où il se passe des choses dans le « fait de faire », se retrouver autour d'une sculpture, d'un produit. Je pense que ce collectif y a joué pour beaucoup. À ce moment là j’ai senti que je m'embarquais dans un truc fou mais je n'avais pas encore conscience de ce que ça allait être réellement. Même si je faisais beaucoup d'assistanat d'artistes, je ne me projetais pas encore tellement dans le fait de faire ça moi-même plus tard. Je vivais les moments présents aux beaux arts sans trop me poser de questions sur la suite.

PTA : Aujourd'hui tu dirais que c'est quoi tes plus grandes difficultés dans le développement de ta carrière ?

M.M : Je suis de nature assez positive. Je t'avoue que je ne vois pas de grandes difficultés. Si ce n'est, ça va être des choses plutôt précises mais, en ce moment le fait d'être constamment loin de chez moi et de mon atelier. C'est une difficulté dans le sens où j'ai besoin d'expérimenter. J'ai souvent des processus qui prennent du temps, qui ont besoin d'un temps de "ratage". J'ai du mal à le faire parce que je pars en résidence et c'est souvent sur des courtes périodes. Même si c'est six semaines ça veut dire que pendant six semaines je ne peux pas continuer le processus qui est en cours à l'atelier. Il y a tout un moment de pause où je ne vois pas le processus se faire. C'est assez compliqué je trouve. Sinon après c'est plutôt des questions d'administration, de statut, etc.. que moi je trouve assez difficile. Pas en soi mais dans un ensemble et dans une compréhension en dehors de ce que l'on est nous-mêmes en tant qu'artistes. Je ne le prends pas comme une difficulté individuelle, c'est une difficulté collective je pense. En ce moment avec tous ces changements c'est dur d'arriver à avoir une conversation avec quelqu'un qui a le même statut que toi et qui a les mêmes problèmes que toi. C'est vrai que dans mon réseau tous les artistes sont plutôt "lancés" donc quand je débarque mes problèmes de "jeune artiste" ils ne savent pas y répondre parce qu'ils ne sont pas du tout dans les mêmes schémas et les mêmes statuts. Donc c'est assez complexe. Après : jusqu'ici tout va bien.

PTA : C'est beau ! Tu me fais un peu une autoroute pour la suite. On va passer à la partie administrative. Au niveau de ton statut tu es à la MDA ?

M.M : Ce qui s'est passé c'est qu'après les beaux-arts j'avais contacté la MDA fin 2018. Leur site était en constante actualisation pendant un mois et demi. Au téléphone je suis tombée sur une dame qui visiblement était en avance à l'époque et m'a dit que je ne pouvais pas m'inscrire. Ce qui aujourd'hui reste une incompréhension parce que certains potes de la même promo s’y sont inscrit.es après moi. Donc je suis à l'URSSAF avec un numéro de siret. C'est assez problématique, là typiquement je signe un contrat et on me demande mon numéro MDA et je ne peux même pas dire qu'il est en cours parce qu'il ne le sera jamais. Puis en même temps y a toutes ces histoires de précomptes sauf que ça n'existe plus vraiment avec l'URSSAF. En tout cas moi j'y comprends quedalle. Donc voilà, ni à la MDA, ni à l'AGESSA.

PTA : Tu n'as jamais été formée sur tous ces aspects juridiques et administratifs ?

M.M : Franchement non. Aux beaux-arts c'est quelque chose qui manque énormément.À ma petite échelle j'essaye de faire en sorte par exemple qu'à l'école de Tarbes il y ait Stefania7 qui y aille pour former les futurs artistes diplômée.és. Moi, j'essaye de me faire former sur le tas. Ça sera surtout des questions précises sur des préoccupations du moment et je demande de l'aide ponctuellement. Mais je pense que j'aimerais bien me former là dessus au BBB à Toulouse.

PTA : En tant qu'artiste-auteure tu as des conditions très alambiquées avec le chômage, presque pas de retraite, d'arrêts de travail, etc. Comment tu l'envisages de ne pas avoir ce filet de sécurité comme dans les autres secteurs ?

M.M : Je viens d'un milieu qui n'est pas du tout celui de l'art. Ma mère est commerçante, les commerçants ils ont aussi un statut un peu "hard" au vu du temps qu'ils passent dans leurs commerces et au vu des charges salariales qu'ils ont. J'ai l'impression que la précarité d'artiste c'est une des précarités qui existent. J'ai tendance à penser que du coup je connais déjà ça donc ça ne m'effraie pas. Bien sûr que parfois il y a des coups de pression parce que la CAF parfois fait des erreurs ou autres. Mais sinon dans mon quotidien d'artiste ce n'est pas quelque chose que je crains et parce qu'aussi, il faut être honnête, jusqu'ici je ne me suis pas retrouvée à dormir dehors. Même si à l'heure actuelle y a zéro qui arrive sur mon compte. Pas de RSA, plus de caf, donc tous les mois on est à +0 ahah ! Je n'y pense pas trop.

PTA : C'est vrai. Si tu y pensais dès le départ tu ne commencerais même pas le chemin limite.

M.M : Ça c'est sûr ! Moi j'essaye de ne pas y penser parce que je m'occupe à autre chose.

PTA : Comme tu disais tu n'as pas droit au RSA, tu es demandeuse d'emploi ?

M.M : Oui. Et je n'ai pas eu droit au RSA parce que je suis déclarée en concubinage. Ma copine touchait 700 euros par mois et visiblement c'est assez pour un couple avec un loyer de six cent euros sans CAF...

PTA : Au niveau de tes revenus artistiques, tu as déjà reçu des droits d'auteure ?

M.M : Oui quasiment tout le temps !

PTA : La chance ! ahah

M.M : Je ne sais pas si c'est une chance mais je vais t'avouer que je n'accepte pas de projets où je ne suis pas payée.

PTA : C'est hyper bien en sachant que tu es sortie de l'école il y a un an et quelques ! (Dans l'absolu on est bien d'accord que c'est aberrant que je dise que c'est hyper bien alors que ça devrait juste être normal !)

M.M : Sortie en juin 2018 oui. Presque toujours payée et/ou avec de la production, à part des projets que j'ai fait avec mon collectif aux beaux-arts et encore on vendait des bières pour rembourser les budgets de prod. Mais depuis la sortie d'école je n'ai fait quasiment aucun projet où il n'y avait aucune rémunération. 

PTA : C'est super intéressant ce que tu soulèves. Que vous ayez essayé de rembourser la prod sur le projet de ton collectif parce que jusqu'à récemment on parlait pas "argent". On évoquait rarement la "rentabilisation" d'un taf ou d'une exposition. La parole se libère un peu. De ce que j'entends dans ce que tu me dis il y a cette idée là.

M.M : Ça n'est pas vraiment le fait de "rentabiliser" quelque chose, c’était plutôt pour que ça ne nous coûte pas d’argent, on vendait des bières pour acheter des néons, de la peinture et du scotch.  Quand je vois des appels à candidatures où tu es mal payé ou pas défrayé.e, j’arrête de les lire... Après tu vois je mens j'ai fait un truc au CRAC à Champigny sur Marne où on était pas défrayé 8. Il n'y avait pas de droits d'exposition juste un prix à gagner. Je l'ai tout de même fait et il se trouve que ça a porté ses fruits parce que j'ai eu le prix mais pour moi l'art ça reste de la débrouille. Il n'y que certains projets où je trouve une réelle motivation personnelle à ne pas être payée. Type la Biennale de Mulhouse9 sans défraiements, ni de droits d'auteure, avec les permanences obligées sur les stands pendant quatre jours mais tu avais l'hébergement compris. Mais dans ces cas là j'accepte tout ça parce que c'est l'occasion aussi de rencontrer sa future famille artistique. Ces choses-là comme je suis en début de carrière je les accepte mais après pour les résidences si j'estime que la production ou les honoraires ne sont pas suffisantes je ne postule pas. A choisir je préfère être chez moi dans mon atelier. Parce que j'ai aussi la chance d'en avoir un ! Il y a aussi beaucoup d'artistes qui partent en résidence justement parce qu'ils n'ont pas d’ateliers, voir même pas de foyer. Moi c'est un choix pour justement sortir de mon atelier. Mais si je n'ai pas de résidence je suis aussi très bien chez moi à produire.

PTA : C'est un luxe mais c'est franchement trop cool. Pour continuer sur les revenus artistiques, est-ce que l'on t'achète des œuvres ? Est-ce que ta production s'y prête d'ailleurs ?

M.M : On ne m'a jamais acheté d’œuvres. A la sortie d'école j'ai eu une galerie. Elle est venue me chercher, pour moi ça n'était pas un objectif. Je viens récemment de les quitter. Pour moi mon travail ça n'est pas qu'il ne pourrait pas se vendre mais pour être très honnête je pense qu'il n'a rien à faire en foire. En septembre je devais faire La foire Galeriste, j'ai annulé à quinze jours de l’événement parce que j'ai la sensation profonde que si on montre une pièce de mon travail et qu'il n'y a pas tout le contexte artistique autour ou un réel commissariat on ne peut pas réellement saisir mon travail. Donc je refuse de le montrer dans ces conditions marchandes là. Maintenant je pense que mon travail peut se vendre dans l'absolu. Après je suis encore très naïve avec la tête dans les étoiles donc pour l'instant l'idée ça reste que mes pièces puissent être achetées par des institutions, des FRAC. Mais ça n'est pas non plus une espèce de désir sans fondements, c'est aussi par rapport à des questions de protocoles et d'installations immersives qui font parties de mes pièces. Je ne pense pas qu'il y est un collectionneur assez fou pour venir acheter 40m2 de carrelage et des glaçons et qui va se taper des cubes de glace à se faire toutes les semaines 10. A mon sens ça ne peut être acheté que par des institutions. Certes tout mon travail n'est pas dans ces questions là mais en tout cas je préfère pour l'instant que ça se recentre sur ces visées là. Si quelqu'un demain veut une pièce pour mettre chez lui pas de problème mais je préférerais que ça soit un réel soutien au travail et à toute la démarche plastique plutôt que de juste vouloir mettre quelque chose de "beau" en déco ou pour une réduction d'impôts.

PTA : Est-ce que tu as des activités complémentaires liées à ton métier d'artiste ou au milieu de l'art ? Comme des ateliers, de la régie, etc.

J'en ai beaucoup fait de la troisième à la cinquième année aux beaux-arts, notamment beaucoup d'ateliers au Parvis à Tarbes11. Puis à la sortie d'école j'ai bossé en tant qu'assistante régisseuse au Parvis. Cet argent me permet encore aujourd'hui de commencer mon mois à zéro et de faire en sorte que je puisse payer mon loyer à temps,etc. A la base c'est un réel refus de travailler en dehors de ma démarche et de mes productions plastiques. Si on me proposait des ateliers ou deux jours de régie, bien sûr que je le fais ! Mais maintenant aussi la question qui se pose c'est que même si j'avais vraiment le désir ou l'obligation financière de devoir aller travailler à Monoprix ça ne serait même pas possible dans le planning actuellement parce que je ne suis jamais chez moi. Je suis tout le temps en résidence, en montage, en démontage. Même si j'étais obligée ça serait totalement en contradiction avec ce que j'essaye de mettre en place. C'est évident que je préfère être à zéro et me restreindre sur d'autres choses que d'aller travailler "alimentairement". Parce qu'aussi je sais que dans le degré d'investissement que je mets dans mon travail d'artiste je n'ai pas de place pour autre chose en fait. C'est vraiment un choix et un luxe de ne pas aller bosser en dehors de ma pratique mais pour l'instant je peux conserver ça. A mon sens, quitte à être dans la précarité, ça n'aurait aucun sens d'aller bosser quatre jours pour un travail alimentaire. Au bout du compte ce serait le même résultat.

PTA : On fait ce "choix" de la précarité, pour autant que ça en soit vraiment un, parce que l'énergie et le temps au final ont une valeur bien plus élevée.

M.M : Surtout la liberté. C'est aussi pour ça que je n'ai pas continué dans le graphisme. Répondre à des commandes, avec tout le temps quelqu'un au dessus de toi qui va essayer de te dire comment faire ton travail alors que lui-même n'a aucune idée de ton travail. Ce sont des choses que j'ai plutôt mal vécues en travaillant en agence de pub et c'est aussi pourquoi je fais aujourd'hui ce choix de la précarité. Celui de la liberté, mon week-end il est quand je veux. C'est un vrai luxe de se dire qu'on peut le faire ! Si une aprèm je veux aller à la plage, je peux y aller. Personne ne va me dire que je dois travailler un an avant d'avoir mes congés et craquer tout ce que j'aurais gagné pendant mes cinq semaines de vacances.

PTA : Par rapport à ce choix que tu fais, est-ce que tu es tout de même parfois contrainte de dépendre financièrement d'un ou de proche.s ?

M.M : [se retourne vers sa copine dans la pièce] Est-ce que je dépends de toi des fois ? ahah. Ma copine peut dire l'inverse, mais en tout cas, non je n'ai pas du tout la sensation de dépendre de qui que ce soit. Je n'ai pas envie de le faire ! Et comme je te disais, travailler dans des ateliers ou en régie ça m'a aussi permis de mettre un peu de thune de côté. Ça me permet de ne pas du tout dépendre de mes proches. Puis je pense que mes proches ne seraient même pas capables d'assurer ça. Surtout je n'ai absolument pas envie de demander à qui que ce soit, ma mère ou ma copine, "Vas y files moi deux cent euros parce que je veux acheter du polycarbonate !" ahah. J'essaye de faire en sorte de m'auto-financer du mieux que je peux.

PTA : Et comment ton milieu familial en dehors du milieu de l'art contemporain réagit à ta profession justement ? À ta précarité et tes choix ?

M.M : Je n'ai pas du tout eu de problèmes dans mon milieu familial ou social à dire que j'allais faire ce choix de vie. C'est quelque chose qui s’est fait naturellement. Il n'y avait même pas de truc à accepter réellement. C'était comme ça.  Mais je pense qu'au début c'était quelque chose qui, comment dire, ça n'était pas un truc perçu comme sérieux. Concernant la précarité c'était d'autant plus déroutant de leur point de vue de voir que je passe mon temps à taffer mais que financièrement ça ne suit pas forcément ! Maintenant vu que ça se passe plutôt bien pour moi et qu'en plus je suis en train de montrer des travaux dans ma région natale, la famille et les amis qui  viennent voir l’expo aux Abattoirs par exemple. Ils me disent  "Ah ouais en fait c'est vraiment sérieux ce que tu fais !". Je ne suis pas juste en train de faire des formes chelous dans mon atelier ou en train de tripper avec un congélateur ou je sais pas quoi ! Ahah. J'ai l'impression aussi, que même si ça change pas nos relations, je vois qu'il y a une fierté amicale et fraternelle qui est bienveillante.

PTA : Au vu de ta carrière actuellement, à combien tu estimerais tes revenus artistiques par an ?

M.M : La dernière année c'était 1900 euros d'honoraires.

PTA : Tu sais il y a toujours ce truc où je sais pas si je dois dire "Wow trop bien !" parce c'est plus que les autres ou ... "Ah ouais. Mille neuf ... sur un an !" ahah.

M.M : Je sais pas non plus. Je sais qu'il y a pleins de potes artistes qui ne décrochent pas de résidences et donc pas d'honoraires. Je me dis aussi que voilà c'est juste ma première année. Je ne me pose pas vraiment la question pour le moment 

PTA : Tu as déjà reçu des aides de la DRAC ? Des bourses, des prix ?

M.M : J'ai eu le prix mezzanine des Abattoirs du coup et la semaine dernière celui du Crac Champigny-sur-Marne. Je n'ai pas postulé encore pour les aides de la DRAC. Mais là je suis en train de faire un dossier pour une aide à la création12. Ça rejoint ce que je te disais au début : j'ai eu une année assez chargée et là j'ai envie un peu de me retrouver dans mon atelier à Sète où je vis. De profiter un peu du confort de vie sètois ! Ahah. L'idée pendant ce temps-là c'est de ne pas utiliser tout l'argent mis de côté pour les moments difficiles. Donc cette aide à la création permettrait d'avoir un soutien pour commencer à mener des projets à domicile. On peut un peu voir ça comme une sorte de résidence, d'habitude je vais en résidence pour avoir des budgets de prod et là l'aide à la création pourra remplir ce rôle là. Ça pourra me donner la possibilité de me passer un temps de partir en résidence pour faire de la prod à domicile.

PTA : Tu as eu beaucoup de résidences ? Bon évidemment oui ! Ahah. Mais quels types ? quels contextes ?

M.M : Pas tant que ça ! En fait ça a commencé un an après l'école. J'ai l'impression d'avoir pris du retard parce que j'ai eu beaucoup d'interrogations après le diplôme de savoir comment "lancer les choses" : si je devais continuer et où est-ce que j'avais envie de vivre. J'avais fait de la régie aussi et il faut savoir que 3 mois avant la fin du diplôme j'avais décidé de tout arrêter aussi et de ne pas le passer ! Ahah. Ma première résidence s'est finalement faite à Soueich13, un petit village à côté de St Gaudens. Un de mes potes du collectif a monté un bar là-bas et il se trouve qu'il a des facilités à s'insérer dans le tissus culturel local. Donc il m'a invité avec la municipalité pour une résidence, à la base c'était une semaine en Juin et cinq cent euros de prod et cinq cent euros d'honoraires. J'ai prolongé trois semaines pour faire des pièces aux beaux-arts de Tarbes. Ensuite j'ai eu la résidence des Maisons Daura14 en septembre 2019. Puis cette résidence à Fiac où on est en ce moment même qui est ma troisième résidence. Elles ont toutes été très différentes que ça soit par leurs formats, leurs contextes, leurs lieux. Je trouve ça assez chouette.

PTA : En un an et demi c'est hyper cool quoi !!

M.M : Ouais c'est vraiment cool, c'est une chance ! Puis en même temps je ne crois pas juste à la chance. Je crois au travail et au fait que pendant les beaux-arts j'ai rencontré beaucoup de gens. Ce qui m'anime c'est vraiment les rencontres ! J'ai fait beaucoup d'assistanat d'artistes. Ce qui me fait assez drôle, c'est qu'en ce moment je repasse en tant qu'artiste-invitée en résidence dans des lieux où j'ai été assistante d'artiste-invité.e en résidence. Donc c'est forcément quelque chose qui me réconforte dans tout ce que j'ai entrepris jusque là. Forcément ça te met en confiance ! Et ces gens que j'ai pu croiser il y a 4 ou 5 ans qui me font confiance aujourd'hui, je trouve ça très beau.

PTA : A ce propos, on en avait déjà parlé toutes les deux en off, toi tu as un très bon réseau en art contemporain. C'est quoi ton rapport au réseau ? Comme tu le dis, tu adores les rencontres et on parle de "réseau" qui est un terme marqué pour quelque chose qui est finalement très naturel et qui est simplement de rencontrer les gens et de voir ce que tu peux faire ou non avec eux.

M.M : Tu l'as très bien dit, pour moi le "réseau" c'est juste le terme de "rencontres" lié au travail. Pour moi c'est l'idée de rencontrer des gens très différents, qui ont des parcours divers. Il n'y a aucun parcours similaires en art ! De mon point de vue ce réseau il s'est beaucoup construit quand j'étais aux beaux-arts. J'étais dans une petite école, une petite ville et j'avais vraiment besoin de voir ce qui se passait ailleurs. J'ai tendance à m'impliquer dans des projets collectifs aussi. J'ai été à l'AndéA15 pendant trois ans. Certes il y avait une grosse dimension politique et sociale mais c'était aussi le prétexte pour moi de rencontrer des étudiants des beaux-arts de toute la France et puis éventuellement que ça devienne des potes, des amis, des personnes avec qui je pourrai travailler plus tard. Cette histoire du réseau je pense aussi que c'est ma personnalité. J'ai besoin d'être entourée, souvent dans la discussion. Je construis mon réseau sur les affinités, de relations sincères et bienveillantes plutôt qu’un réseau professionnel d'intérêts uniquement. Puis j'ai aussi tendance à me dire que je n'ai pas non plus envie de travailler avec des gens qui me font chier. Si je n'ai pas fait du graphisme c'est vraiment pour ça, donc je vais pas commencer à le faire dans l'art ! Actuellement je me retrouve à graviter avec des gens qui me soutiennent plus ou moins. Parce que pour moi "faire du réseau" c'est pas aller vers quelqu’un pour qu'il te propose une expo ! C'est juste avoir une discussion. Ça fait du bien d'avoir juste des gens qui te soutiennent sans rien attendre en retour ! Et si on est pas d'accord et si la personne n'adhère pas du tout à mon travail c'est là aussi que les choses peuvent devenir intéressantes dans la discussion, ça fait aussi du bien et c’est important de se confronter à des gens qui n'adhèrent pas au travail ! Le réseau pour moi c'est un ensemble de personnes avec qui je vais à la fois pouvoir parler de taf, boire des coups et me marrer !

PTA : Ce que j'aime bien encore une fois, c'est que tu fais un choix bien affirmé de bien dessiner tes limites dans ce que tu veux et ce que tu veux pas dans tes conditions. C'est une volonté très forte que je sens chez toi ! C'est hyper rafraîchissant cette position ! Ahah. Tu as participé à beaucoup de projets, est-ce que tu as eu des expériences où tu as eu l'impression d'avoir des mauvaises conditions d'accueil ?

M.M : Très honnêtement ça m'est arrivée récemment avec une structure. Heureusement au sein de ce projet-là il y avait aussi des gens bienveillants avec qui on a partagé de très bons moments et qui ont réellement été d'un soutien non-négligeable sinon il y aurait même pas eu d'expo. En tout cas jusqu'ici je n'ai eu que cette expérience là qui m’ait amener à sérieusement à réfléchir. C'est aussi sur un plan relationnel que j'ai été déçue, parce que c'est ça que je recherche souvent dans les projets. Là il n'y a vraiment pas eu de relation avec les personnes liées à la structure en question. C'est toujours assez étrange que vingt quatre heures avant le vernissage tu te retrouves à être le centre du monde alors que pendant tout le montage personne n'est venu à ta rencontre. Il y a ce truc de distanciation relationnelle auquel j'adhère pas trop puis en même temps ce sont aussi des types de relations auxquelles tu es obligée de te confronter dans le monde de l'art. Quand je dis "obligée" c'est parce que je n'ai pas fait le choix de postuler à ce prix pour des questions de relations mais plutôt de visibilité. A un moment donné je fais aussi des choix qui m'amènent ailleurs qu'à des rencontres "humaines". Je sais très bien que si je fais ces choix-là à ce moment-là ça ne sera pas pour rencontrer des gens super sympas ! C'est pour une question de visibilité, de montrer mon travail et ce sont d'autres motivations. Puis à côté de ce genre d'expérience, tu vois aujourd'hui j'en ai aussi d'autres comme ici à Fiac dans une petite résidence avec des gens super cools autour de moi. Ça aura sûrement moins de visibilité que cet autre projet, mais ici ce que je viens chercher c'est autre chose. Ce que j'essaye de faire dans mon parcours et dans toutes ces résidences et ces expos c'est de trouver des espaces et des variations dont je connais l'impact et ce pourquoi j'y participe. En tout cas voilà, il y a des choix qui sont liés à une idée de carrière même si je n'aime pas trop le terme, mais voilà il en faut un. Après c'est aussi un lieu qui m'a permis de montrer quelque chose qui était lié à un protocole donc si ça n'avait pas été un aussi gros lieu peut-être que je n'aurais jamais pu présenter/réaliser ce projet.Là-bas je peux le faire, je peux aussi arriver avec des exigences que j'aurais du mal à avoir avec des gens qui sont hyper bienveillants avec moi. Le fait que ça soit plus impersonnel c'est plus facile de dire "Non on fait ça comme ça !" parce que les gens en face agissent avec un truc/... je trouve pas le mot, ...de pouvoir ! et c’est là que c’est important de défendre fermement son travail.

PTA : Tu parlais d'institutions. Souvent ce qui revient dans les entretiens que je fais c'est la constatation du manque de moyens financiers sur certaines choses. Tu en parlais tout à l'heure : absence de défraiement,  réduction des budgets de prod, parfois même pas d'hébergement ... Des conditions pas oufs. Globalement à titre personnelle tu l'as aussi constaté ?

M.M : Je vais encore revenir sur cette expérience mais en dix jours de montage, en sachant que ça incluait un jour férié et un week-end au milieu, où les régisseurs n’étaient pas là,on a dû négocier avec les artistes pour pouvoir venir travailler le week-end pendant que c'était ouvert. Sur les dix jours il n'y avait que 5 nuits d’hôtel de payées, donc voilà les cinq autres nuits je sais pas ... tu te fais enfermer à l'intérieur ? Ahah. Je comprends pas. C'est ça une institution qui soutient les artistes ? Alors qu’à Soueich dans un petit village de quelques centaines d'habitants pour une semaine de résidence je suis payée cinq cent euros nourri et hébergée... Je pense qu'il y a un réel problème ! Et ça n'est pas un problème de subventions ou de budget, on sait très bien qu'ils ont les moyens et qu'ils sont capables d'avancer deux cent mille euros pour un artiste qui ne sera même pas présent au montage. Je pense qu'il y a beaucoup trop d'histoires de pouvoir, de politique et d’ego dans ces grosses institutions. En même temps je fais le choix d'en passer par là pour montrer mon travail. Donc c'est aussi des choses que tu dois accepter. Mais tu peux les accepter ET les dénoncer. Je ne suis pas quelqu'un qui va tout remettre en question et cracher sur tout. Je sais que si je décide d'aller faire un projet dans un lieu, je me renseigne sur le lieu et sur les conditions avant d’y aller, donc c’est un choix de ma part et quelque chose que j'accepte. A partir de ce moment-là ça devient mon problème, il faut assumer ce qu'on fait. Le contrat tu le lis avant d'y aller.

PTA : Au moins y a un contrat ! On va bifurquer sur des questions plus pratico-pratiques sur tes conditions de travail. Tu disais que tu avais un atelier tout à l'heure. Qu'est-ce que ça t'as apporté comme confort et comme avantages ? Tu l'as obtenu facilement cet atelier ?

M.M : Je suis partie à Sète à peu près huit mois après le diplôme. Avant je n'avais pas d'atelier, mais j'avais pu négocier que les cinquième année de ma promo puissent bosser encore six mois de plus après le diplôme à l'école de Tarbes. Je ne suis pas céramiste mais c'est du matériel très cher, donc quand tu sors si tu n'as plus ce matériel du jour au lendemain ta production s'arrête. Je ne pense pas que ça soit dans l'intérêt d'une école de lâcher tous ses étudiante.s formée.és dans le néant. A titre personnel je n'ai pas profité de ces espaces véritablement parce que ça ne concernait que l'atelier céramique. Mais avoir un atelier ce n'est pas une histoire de confort, c'est plus que nécessaire. Je ne peux pas avoir de pratique sans atelier. Sinon je me retrouve à faire des trucs petits parce qu'il n'y a pas d'espace ou faire des trucs pas trop crades parce que je suis chez moi. Ça conditionne trop le travail. Donc c'est vraiment quelque chose d'indispensable. Pour la question de la facilité à en trouver un, c'est vrai que pour moi ça a été de la chance. Il se trouve que j'avais comme prof Guillaume Poulain16 qui est artiste, qui vit à Sète et qui a son atelier. Ce choix d'y aller pour moi c'était vraiment dû à une histoire de réseau fraternel entre artistes. Pendant mes études aux Beaux-arts j'ai passer beaucoup de temps à Sète, je suis partie au Maroc17 avec un artiste sètois, etc. Donc je voulais m'installer dans un lieu où il y avait  une activité artistique marquée comme mes choix et en même temps qui ne soient pas trop encadré par des institutions mais par des artistes. C'est vraiment le cas à Sète. J'ai pu profité de cette bienveillance entre artistes. Ils ont tous des parcours très différents et ils sont tous plus agée.é.s que moi, du coup ils sont d'autant plus bienveillants quand j'ai des questions. Donc Guillaume a un atelier et au moment où il a su que l'on venait à Sète, il nous a proposé d'intégrer l'atelier. Aujourd'hui on partage l'atelier entre Guillaume, Sébastien Taillefer18, Morgane Paubert19 et moi-même. Dans ma vision de l'atelier indispensable c'est vraiment un luxe. Je commence aussi à visiter des ateliers d'artistes ailleurs, hier j'étais à Borderouge par exemple20, en fait je réalise qu'on a beaucoup de chance à Sète. On a des bêtes d'atelier ! On ne paye pas de loyer, on a le chauffage, ... Ça parait bête comme ça mais dans la réalité on est vraiment dans un grand luxe ! Franchement si ça s'arrêtait je ne vois même pas comment ça serait possible de continuer ma pratique.

PTA : Tu arrives à quantifier ou à estimer ton temps de travail ?

M.M : Non, impossible. Ahah

PTA : Je te rassure la plupart ne savent pas non plus répondre à cette question ! Ahah

M.M : Bon je pourrais peut-être quantifier que je ne travaille pas deux ou trois jours par mois mais en fait quand je suis en résidence ou autre c'est toujours du 9h-23h quoi avec une demi-heure pour manger. Quand tu dors, limite tu bosses encore ! Franchement, beaucoup trop dur de le calculer. Puis parfois tu n'as pas l'impression de travailler mais en fait tu travailles totalement. Soit tu fais de l'administratif soit tu fais une sieste mais en fait ça tourne trop dans ta tête donc tu retournes à l'atelier ... Après c'est aussi dans mon caractère. Je n'arrive pas à m'arrêter. Je suis tout le temps en train de bosser. C'est vraiment un objectif que je dois arriver à faire tu vois. C'est pour ça aussi que l'aide à la création arriverait à me poser aussi pour que le rythme puisse être un peu plus variable, pouvoir m'écouter un peu plus.

PTA : C'est une question très rhétorique quand je la pose, parce que vous (les artistes que j'interroge) êtes toujours tous très différents mais sur cette question vous répondez toujours les mêmes choses : "Ça ne s'arrête JA-MAIS !" ! Ahah. Tout à l'heure tu parlais aussi du collectif, puis maintenant même au sein de ton atelier tu travailles dans un environnement commun. On en parlait, tu aimes la rencontre ! Qu'est-ce qui t'as attiré particulièrement là dedans ?  Ça t'a apporté quoi le collectif ?  Tu y as vu des avantages ou des inconvénients parfois ? ... Dios mio, cette question était bien trop longue !

M.M : Le collectif c'est quelque chose qui ne m'a pas apporté, ça m'a carrément porté ! C'est un truc où souvent quand toi tu ne vas pas savoir faire, ton frère à côté va savoir et va t'aider. Dans mon collectif, on faisait des choses qui justement ne pouvaient pas se faire tout seul. Pour moi c'est aller plus loin ensemble. Ça fait hyper cliché dit comme ça mais il y a vraiment ce truc là de dépasser ta propre idée. C'est un projet rhizome, il y a des choses qui se passent en collectif qui n'arriveraient pas si tu étais seul.e. C'est ça qui moi me porte dans cette histoire de collectif. Il y a une entraide, une philosophie de système D et de débrouille. A mon sens c'est nécessaire. Je ne sais pas si il y a d'un côté les avantages et les inconvénients. Quand tu travailles à plusieurs il faut énormément de bienveillance. Et ça arrive parfois que pour X facteurs la bienveillance puisse s'oublier, ça peut vraiment vite partir en live. Puis comme moi je vis les choses avec beaucoup de sincérité, d'amour, etc.. ce qui se brise c'est plus qu'un collectif mais des relations, des amitiés. Ça peut être très compliqué. On ne va pas mentir dans les collectifs il y a aussi des histoires d'egos, des caractères, chacun a ses idées et chacun se bat pour ses idées. Même dans l'idée d'un commun, il y a quand même des moments où le "commun" il ne se situe pas au même endroit pour tout le monde. Ça peut être difficile quand tu vois que les personnes prennent des chemins différents et que tu essayes de faire perdurer ce commun alors que c'est en train de se diluer. Je pense que c'est aussi dû à des temporalités. Nous tu vois, ça a été compliqué quand on s'est retrouvé en cinquième ou quatrième année en étant dans des phases très différentes. Il y a des questions qui se sont posées et de mettre de côté un peu ce collectif. Aujourd'hui finalement on se voit beaucoup plus qu'à l'époque où c'était plus tendu pour ces fameuses questions de : "Qu'est-ce qu'on va devenir ? Vers où on part ?". Mais les collectifs ils peuvent se former partout. Je pars en résidence, j'ai un collectif. Quand je sors dans la rue ici à Fiac il n'y a que des gens que je connais, ils font partie du truc. J'essaye de recréer une sorte de collectif pour que les choses se pensent ensemble. Nous en tant qu'artistes j'ai l'impression qu'on arrive souvent dans des lieux où on est propulsés où il y a déjà une vie. On doit partir à la rencontre de tout ça pour savoir aussi comment les choses fonctionnent autour. On est obligés de s'intégrer dans ce collectif là aussi pour comprendre sinon ta résidence ne fonctionne pas. Je pense que c'est pour tout !

PTA : C'est pas faux ! C'est une question qui me tient particulièrement à cœur quand je la pose. Est-ce que tu t'es déjà sentie limitée ou discriminée dans le développement de ta carrière que ce soit par ton genre, ton âge, tes origines, ou autres ?

M.M : Je vais encore reprendre cette histoire là mais... limitée je pense que non. J'espère que je ne me sentirai jamais limitée parce que ça n'aurait aucun sens avec ce que je fais. Au niveau de la discrimination non plus, mais aussi parce que je ne prête pas attention à ces choses-là. Je me laisse pas bolosser, je préfère bolosser ahah. Je rigole ! Mais comme je t'ai dit, c'est pas spécifique au milieu de l'art mais je pense qu'il y a aussi beaucoup de personnes qui sont complaisantes. Quand ça arrive c'est souvent en groupe, et ça se voit très vite que j'écoute plus la personne à partir du moment où elle se plaint en continu d'un truc. Je ne dis pas qu'elle a pas raison de le faire ou d'en parler mais c'est juste que je n'ai pas de temps à perdre là-dedans. C'est horrible et bien-sûr qu'il faut défendre la question du genre, de la liberté, de la place des artistes, etc. Mais j'ai l'impression que c'est des problématiques tellement grandes que tant qu'on ne se fédérera pas, comme ce qui est en train de se passer en ce moment, je ne sais pas si les choses peuvent changer à notre échelle. C'est vrai que ça peut paraître égoïste dit comme ça mais si personnellement dans mon contexte professionnel on questionne mes origines, mon genre, ma sexualité, qu'il y a le moindre doute, bah très bien c'est juste que voilà je ne travaillerai pas avec la personne et on a rien à se dire. Si l'échange n'est pas dans le respect, l'élévation, je laisse tomber, ça ne m'intéresse pas. Donc comme ça, je ne me sens jamais vraiment attaquée

PTA : C'est une bonne réaction de défense, juste en évitant l'attaque.

M.M : Après je faisais pas ça avant rassure-toi ! J'attaquais plutôt ahah ! Mais c'est vrai que ça fait trop perdre de temps. Comme dans ces histoires de réseau, je fais les choses pour avoir de vraies rencontres et de réels partages. Ça sert à rien sinon.

PTA : On va passer sur la dernière partie. T'en es où dans ta carrière pour toi ?

M.M : Au début. Je commence quoi. Je me rends compte que je dis souvent que je sors juste des beaux-arts mais là ça commence à faire ! Pour moi je suis encore sur une rampe de lancement tu vois, dans ma tête je ne suis pas du tout à la phase de décollage. A tout moment je peux me crasher et décider de faire autre chose. Je suis encore très naïve je te dis, je suis encore dans des utopies de ouf. J'essaye de voir les choses positivement. Mais peut-être que dans trente ans je serai en train de me plaindre de tout je sais pas. Enfin pour l'instant ça se passe bien, les conditions me permettent de garder un bon cap.

PTA : Qu'est-ce que tu aurais aimé entendre ou qu'on te dise quand tu as commencé à vouloir développer cette activité d'artiste comme activité principale ?

M.M : Rien je crois. Après je l'ai pas évoqué mais c'est vrai que j'appréhende beaucoup la carrière d'un artiste comme la carrière d'un sportif. Je suis issue du milieu du sport et pour moi c'est exactement la même chose. C'est des histoires d'endurance, de s'écouter soi. Comme je te l’ai dit à un moment j'aimerais bien rentrer à Sète et prendre plus de temps et calmer le rythme. Donc à un moment il faut s'écouter, écouter les autres et avoir confiance en toi, tout le temps te mettre des challenges. En fait les meilleurs conseils que j'ai entendu pour être artiste je les ai entendu dans le sport ! Dans l'art on te donne pas de conseils, parce qu' on est tous trop différents.

PTA : Aujourd'hui est-ce que tu as des pistes de réflexion personnelles pour améliorer les conditions professionnelles précaires de toi et de tes pairs artistes ?

M.M : Tu vas peut-être trouver que je suis très arrêtée, je sais pas trop comme le dire mais moi je me fixe des deadlines, des objectifs comme en sport. J'aimerais bien être prof et pas que pour une histoire de sécurité financière. Ça se ressent dans toutes ces histoires de collectif et d'échanges, dans mes engagements à l'école ou dans les assos. J'ai vraiment cette idée où j'aime le fait d'être entourée et de créer des choses ensemble. Pour moi là où ça se fait le mieux c'est les écoles d'art, je trouve ça très beau ce qui s'y passe. Il y a des personnes qui font des choses très belles et qui ne seront jamais artistes et d'autres qui ne se doutent même pas qu'ils deviendront artistes. Il y a encore une espèce de naïveté. Après je parle d'expériences vécues à Tarbes, j'ai pas vu à Paris ou autres. Si je dois réfléchir à un nouveau système de travail en tant qu'artiste ça serait plutôt de me diriger vers du professorat en école d'art.

PTA : Tu manges quoi le 5 du mois ?

M.M : Ça dépends où je suis, mais le 5 du mois j'aime bien aller manger des huîtres ! Ahah.

PTA : Malgré tous ces à-côtés, on parlait de précarité, du fait que ça n'était pas forcément une voie si facile, qu'est-ce qui te rappelle que ça vaut vraiment la peine de s'accrocher ? Qu'est-ce qui te faire continuer ?

M.M : Déjà la liberté. Puis aussi le champ des possibles, c'est à dire que j'ai la sensation que quand tu es artiste tu peux tout faire. Moi je suis quelqu'un qui a besoin de mener plusieurs projets en même temps sinon je m'ennuie très vite. Je ne peux même pas citer d'exemple parce que justement ça réduirait ce champ des possibles ! Je peux aller où je veux, quand je veux, dans n'importe quel secteur, travailler avec un néoniste et le lendemain me retrouver avec un fermier parce que le processus de fermentation va m'intéresser, pour finalement me retrouver dans un labo de chimie deux semaines après ! Dans des endroits où normalement je ne pourrais pas aller parce que je n'ai pas les compétences de base ! Pourtant j'ai la sensation d'être un peu chimiste dans mon atelier avec mes protocoles et mes expérimentations. C'est tout ça qui m'excite vraiment ! Tous les 5 du mois après avoir manger mes huîtres je me dis que si je pouvais faire ça même le 28 du mois ça serait génial, je ferais un travail qui me rapporterait de la thune. Mais après je me dis que je vais m'ennuyer ! Je ne suis pas limitée dans ce que je fais, je découvre toujours des choses, ici à Fiac je me retrouve à faire de la gravure comme jamais alors que c'est une technique que j'avais jamais exploré ! C'est aussi ça pouvoir aller explorer tous les champs ! La liberté quoi !

PTA : Trop bien ! Nous voilà au terme de l'entretien. Je te remercie Marion d'avoir bien voulu répondre à toutes mes questions.

M.M : Merci à toi !

 

 


4 Plateforme /Base de données de créations visuels, images,etc.. pour les graphistes et les créatif.ves

5 Carton de son exposition « Je vou a le si êl rose » dans le cadre de sa résidence à l'AFIAC en septemre 2019

6 Une des pièces de Marion à l'AFIAC était un « gâteau à la broche en céramique » qui a aussi incluse un véritable gâteau à la broche avec la restitution et les ateliers avec des enfants lors de sa résidence.

7 Formatrice pour les artistes des arts visuels au BBB centre d'art et directrice de Documents d'Artistes Occitanie , … aussi un des entretiens de PTA … have a look ;)

10 Sa pièce pour Mezzanine sud 2019 aux Abattoirs à Toulouse : Angiographie, glaçon de fluoréscéine, carrelage, lumière noire, 2018

19 https://morganepaubert.com/ : J'ai également eu le plaisir d'avoir Morgane en entretien audio, check it out ! ;)