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Préambule

Morgane Paubert est une jeune artiste, céramiste. Comme elle le dit elle-même, elle réalise des formes, à la frontière entre art contemporain, design et artisanat. On a notamment parlé ensemble de ce positionnement multiple de sa pratique dans plusieurs domaines de l’art. Nous avons évoqué les contextes et les lieux de diffusion de ses pièces, qu’elle apprécie de partager aussi bien dans une expo que dans une boutique ou un intérieur. Cela pose aussi la question de la vente des oeuvres. J’ai trouvé ce positionnement tout à fait pertinent. Pour qui fait-on l'œuvre ? N’est-elle pas créée pour être partagée de manière sensible ?

Le style de l'entretien reste oral pour garder la spontanéité de l'échange. L'écriture inclusive non-différenciée, c'est à dire le féminin ou le masculin venant en premier aléatoirement sur les mots genrés, est un parti-pris assumé. Car comme dirait une amie « Je ne suis pas qu'un « e » à la fin d'un mot ». Cette entretien a été réalisé en janvier 2020 en ère "pré-covidienne". Certains projets ou expos évoqués ont depuis été déplacés et/ou annulés mais d'autres ont aussi émergé ! Stay tuned pour des nouvelles des artistes interrogé.es et des « que sont-ils devenu.es ?! » ! Bonne lecture !

Paye Ton Artiste : Salut Morgane ! Morgane Paubert, tu es plasticienne, ton médium principal est la céramique, mais je vais te laisser te présenter toi-même plus en détails, et me dire quel est ton parcours si tu le veux bien ?

Morgane Paubert : Alors mon parcours … Après le bac je suis partie   à Prép’Art Paris. Cette année m’a permis de préparer tous les concours en école d'art car à la base je voulais faire de l'architecture d'intérieure mais je ne savais absolument pas par quel biais passer. J’ai donc passé une dizaine de concours d'écoles d'art un peu partout en France et j’ai été acceptée à Reims où j'ai passé trois ans. La première année était propédeutique, c'est-à-dire que tu touches à toutes les pratiques proposées dans l’école et  tu choisis pour les futures années de te  diriger dans une section particulière soit art, soit design graphique, soit design d'objet. Mon premier choix se portait vers le design d’objet mais on va dire que j’ai été vivement conseillée d’aller en section Art... j'y suis donc allée en relativisant et en me disant qu'ils ne m'avaient peut-être pas dit ça pour rien et dans tous les cas je n’avais pas trop le choix finalement. C'est pendant cette deuxième année que j'ai pris des cours de céramique en parallèle de l'école. Ça a été une révélation, j'ai passé mon DNAP principalement avec des sculptures en céramiques cuites dans une boutique en ville et dans l’atelier où je pratiquais.  Juste après ces trois ans j'ai  décidé de changer d'école pour faire mon master dans une école équipée pour travailler ce matériau, je suis donc allée à l’ESA Pyrénées de Tarbes.

PTA :Tu fais quoi en ce moment ? Quels sont tes projets ?

M.P : En ce moment, je n'en ai plus trop. Je fais beaucoup d'appels à projets justement. J'ai une expo encore en cours à la Biennale de Champigny-sur-Marne , j'ai quelques pièces là-bas. Sinon j'ai postulé à un poste pour animer des ateliers avec des enfants en lien avec une prépa aux beaux-arts. Je produis aussi des pièces dans mon atelier ici à Sète, plutôt des petits formats à proposer dans des boutiques, comme des concept stores par exemple. C'est un moyen comme un autre pour moi de vendre des pièces.

PTA : Actuellement, tu dirais que c'est quoi ta plus grande difficulté dans le développement de ta carrière ?

M.P : De montrer mon travail, tout simplement ! Depuis que je suis sortie de l'école il y a quasiment deux ans, j'ai eu une expo, donc je fais beaucoup d'appels à projets, et à chaque fois ça ne marche pas. Je me pose des questions concernant tout ça. A savoir, s'il faut que je continue ou pas, etc. Essayer de trouver un sens à tout ça en somme ...

PTA : Oui ça peut devenir très frustrant et décourageant. Tu te souviens du moment où tu as pris la décision de prendre cette voie là ? Tu te souviens du déclic ?

M.P : Je pense qu'à la fin de ma première année à Reims, où l’on m'a contrainte dans le choix de mon orientation, ça a été quelque chose de très dur. Je me suis beaucoup remise en question, pour savoir si ça m'intéressait vraiment. Mais le moment où j'ai découvert la céramique ... ça a été vraiment un point culminant ! Je me suis dis que voilà, c'était vraiment ça que j'aimais ! Je voulais faire de la céramique et par le biais artistique, avoir une certaine liberté et un moyen de retourner vers le design à un moment ou à un autre. Mais ce matériau là a vraiment été une révélation. 

PTA : Je suis assez d'accord avec toi, ça m'a fait la même chose. A mon avis, on a rarement l'opportunité de s'imprégner autant d'un matériau que la céramique ! C’est de la magie ahah !

M.P : Oui puis les possibilités sont tellement infinies que tu te dis que tu vas t'y éclater toute ta vie !

PTA : Sans transition, maintenant on va passer au statut "légal" ... Tu as ton statut d'artiste-auteur.e à la MDA ou l'AGESSA ?

M.P : Non pas encore parce que quand je me suis inscrite ça n'était plus possible . Je suis à l'URSSAF et j'ai un numéro siret.

PTA : De ton côté, tu as eu une formation à tous ces aspects juridiques et légaux ?

M.P : Non, mais c'est vrai que l'année du diplôme on avait demandé à avoir des discussions et des informations sur comment monter un dossier, comment on facture, etc. Mais tu vois là, quand je fais des interventions quelque part, ne serait-ce que pour facturer "Oui code APE ? Bonjour !". "Est-ce que je suis assujettie à la TVA ou pas ?". Au départ il y a tellement de questions ... Et j'avoue que c'est très compliqué de s'y intéresser !

PTA : Comme tu sais avec ce statut là, viennent pleins de désavantages sociaux, absence de médecine du travail, pas de droits au chômage,etc, quand bien même tu cotises. Comment appréhendes- tu ce truc un peu “bancal” sur ta vie professionnelle ?

M.P : Bien-sûr c'est plutôt compliqué. Mon père est styliste,il a toujours navigué de contrat en contrat mais il arrive toujours à rebondir. Donc j’ai plus ou moins toujours connu cet aspect assez précaire malgré tout.  Donc ce côté "précaire" j'y pense pas trop, parce que j'essaye vraiment de vivre au jour le jour puis après on verra ! Mais bon, en vrai moins j'y pense mieux ça va en fait ! 

PTA : Tu parlais de ton père, ton milieu familial t’a-t-il soutenu ?

M.P : Oui ! Ils ne m'ont jamais dit que c'était impossible ou conseillé d'arrêter de faire ça. C'est vrai qu'ils ne m'ont jamais mis de bâtons dans les roues. Comme ils me disent, ils ont des nœuds au ventre bien-sûr mais ils me disent aussi d'y croire et qu'à un moment ça marchera. C'est plutôt bienveillant.

PTA : Repassons sur la thune, ça devient trop mignon ici, .. ahah ! Actuellement, tu estimes  vivre dans la précarité ?

M.P : Oui. Là je touche le chômage grâce à des droits que j'ai eu avant parce que j'ai fait des saisons mais oui c'est clair, je peux dire que je suis précaire.

PTA : Tu as déjà eu d'autres aides comme le RSA ?

M.P : Ça ne devrait pas tarder à la fin du chômage ! Mais vu que je suis en concubinage avec ma compagne et qu'on est toutes les deux artistes, mais qu'on a des temporalités inversées au niveau des rentrées d'argent … Pendant que moi je travaillais, elle touchait le chômage et inversement, donc quand on demande le RSA, on gagne "trop". Sauf qu'au bout d'un moment, ... faut pas déconner ! Mais je crois que bientôt on sera toutes les deux à zéro par mois (youpi !), donc là j' "espère", si on peut dire ça, qu'on y aura droit. Ahah Heureusement que j'aime les pâtes !

PTA : Juste au niveau de tes revenus artistiques, on t'a déjà payé des droits d'expositions et/ou des droits d'auteur.e ?

M.P : Oui. Je ne sais pas si ça compte mais j'ai été lauréate d'un concours, quand j'étais encore aux Beaux-Arts et ils m'ont acheté la pièce. Cet argent je l'ai ré-investi dans mon travail au final, ça m'a permis de me financer un stage de céramique au Mexique plus tard. C'est à peu près tout.

PTA : Mais quelle belle transition que voilà ! J'allais te demander si on t'avait déjà acheté des œuvres ? D'autant que ta production s'y prête.

M.P : Dans le cadre de ce concours là justement, la pièce est rentrée dans la collection du musée. Puis comme on disait, la céramique est vraiment un matériau qui se prête à la vente. Mes sculptures peuvent potentiellement avoir un format plus "vendable" et commercial, et c'est vrai qu'en ce moment j'essaye d'en jouer pas mal pour essayer d'en vendre. Là ça s'entasse dans l'atelier, ça va plus du tout ! ahah

PTA : Tu as de la difficulté à donner une valeur ou un prix à tes œuvres ?

M.P : Oui. Je ne me rends absolument pas compte. Déjà il faut prendre en compte les cuissons, tous les aspects "techniques". De base le processus de la céramique ça coûte cher à produire. J'ai aussi du mal à estimer mon temps de production parce que ça dépend vraiment des pièces, puis c'est tellement long comme processus ! Entre les séchages, les premières cuissons, les deuxièmes cuissons,etc. En vrai, si je devais quantifier et si je mettais le coût réel, jamais ça ne serait acheté ! Donc j'ai tendance à déprécier un peu le coût des pièces pour faire en sorte que ça parte et je veux de toute manière que cela raisonnable pour tout le monde.

PTA : Tu mutualises les cuissons j'imagine !

M.P : Voilà c'est ça ! Ahah. J'essaye d'optimiser au mieux, j'ai eu la chance de trouver un point de cuisson pas trop cher à Sète où j'ai mon atelier, mais ça reste un poste de plus à considérer dans le calcul des prix qui n’est déjà pas négligeable.

PTA : En plus, j'imagine que vu tes formats tu dois d'autant plus prendre en compte le contexte.

M.P : Oui et je veux que mes pièces restent abordables ! Surtout pas quelque chose d'élitiste qui soit seulement accessible à des personnes avec de gros portefeuilles. Ce que j'aime, c'est aussi les gens qui ont des coups de cœur pour les pièces. Je veux vraiment que ça soit possible pour eux.elles de les acheter ! 

PTA : C'est hyper intéressant comme positionnement !

M.P : Après parfois c'est vraiment aussi à double tranchant. "Ah c'est pas cher !". Bah non c'est pas cher ahah ! Mais du coup, parfois les gens ne se rendent pas non plus compte du temps de travail derrière. Maintenant dans l'industrie et dans les boutiques de déco, on trouve de la céramique vraiment pas chère. La céramique artisanale par contre, comme on disait, ça a un coût beaucoup plus élevé ! Donc bon, quand ils font le calcul, certaines personnes ne veulent pas mettre le prix s'ils.elles peuvent trouver moins cher ailleurs !

PTA : Tu as des activités complémentaires, liées à ton métier d'artiste ou au milieu de l'art ?

M.P : Je fais pas mal d'ateliers et d'animations, souvent des remplacements et des interventions ponctuelles à l'école des Beaux-Arts de Sète récemment. Par ce biais, j'ai aussi pu aller faire un workshop en Martinique. J'adore faire ça ! Partager et apprendre aux plus jeunes à mettre les mains dans la pâte. Ça c'est vraiment chouette !

PTA : Ça te permet de ne pas avoir de boulot alimentaire à côté ?

M.P : J'en ai eu un au tout début de mon arrivée à Sète. Au début de 2019, je revenais de trois mois au Mexique pour un stage de céramique. Clairement là-bas je me suis fait plaisir !! ahah, tant que j'y étais ! Donc quand je suis rentrée en France, il a fallu que je bosse un peu dans un restau pendant trois ou quatre mois d'affilés. Puis c'était l'été, de toute façon il faisait trop chaud pour bosser la céramique, ça séchait trop vite !

PTA : Tu as déjà été contrainte de te reposer financièrement sur des proches ?

M.P : Oui clairement. Des fois j'appelle mes parents au secours. Depuis que je suis revenue du Mexique, j'ai dû me serrer la ceinture, j'ai renoncé à ma voiture par exemple. Donc oui, parfois j'en ai besoin.

PTA : Financièrement l'objectif que tu estimerais réalisable par an en revenus artistiques s’élèverait à combien ?

M.P : Pour moi je n'ai pas vraiment d’objectif financier, actuellement c'est plutôt des objectifs de monstrations au final. Je voudrais vraiment montrer mes pièces. Honnêtement, même si j'étais peu payée, si ça me permettait d'avoir une vitrine et de montrer davantage mes pièces et de rebondir là dessus ça sera vraiment beaucoup. Je réfléchis plutôt dans ce sens là, parce que les sous peuvent arriver d'une autre manière comme avec les ateliers.

PTA : Tu as déjà exposé en solo ou collectivement ?

M.P : Collectivement oui, à la sortie des Beaux-Arts, avec d'autres personnes de ma promo au CACN à Nîmes. A la Biennale à Champigny-sur-Marne aussi, assez récemment. Avec le collectif des ésapeurs aussi, on a fait quelques expos dans des apparts. Je les suivais un peu dans leurs aventures.

PTA : Au niveau des résidences, tu as eu l'occasion d'en décrocher ?

M.P : J'ai fait une résidence avec Jean-Paul Thibault à la Chapelle Faucher, ça s'appelle "Traverse et inattendus". C'est une résidence qui permet aux gens des alentours de venir directement sur le lieu de résidence avec les artistes et de participer aux activités qu'on propose. J'étais avec deux autres céramistes. On a construit un four à bois avec les habitant.e.s, puis on l'a laissé sur place. Du coup, ils peuvent y revenir et faire eux-mêmes leurs pièces et les cuire. C'était un projet très chouette et très cacophonique, on était vraiment beaucoup avec chacun ses propres activités.

PTA : Super expérience malgré un truc "cacophonique", sur d'autres tons, tu as déjà d'autres expériences où au niveau de l'accueil tu as pas mal déchanté ? ou bien des projets où tu n'avais pas forcément de bonnes conditions que ce soit sur les budgets ou sur les protocoles et le respect de tes pièces ?

M.P : Non pas tellement. Le peu d'expériences que j'ai eu se sont plutôt bien passées à chaque fois. Pour la biennale à Champigny, là par exemple, il n'y avait pas de défraiements mais on s'est débrouillé. Ça reste compliqué mais je suis quand même contente de pouvoir montrer mes pièces et l'installation en question que je n'avais encore jamais montrée en dehors de l'école. Ne serait-ce que ça, je suis hyper contente. Sur le reste pareil, je n'ai que de bonnes expériences, en tout cas c'est ce que j'en tire pour le peu que j'ai ahah !

PTA : Mais t'inquiètes, en vrai un an et demi après la sortie de l'école, c'est normal, c'est très peu.

M.P : Oui je sais, mais c'est passé très vite quand même. Puis c'est aussi beaucoup de refus à prendre entre temps. Beaucoup de temps investi à monter des dossiers, et ça semble long en attendant la récolte. Mais je relativise et me dit que les refus ne sont pas forcément en rapport avec la qualité du travail ! C'est juste que ça ne correspond pas forcément aux attentes du moment, etc.

PTA : Au niveau de tes conditions de travail, tu as déjà un atelier à Sète. Comment le fait d'avoir cet atelier influence la dynamique de ton travail et le développement de ta recherche ?

M.P : Pour moi c'est quelque chose qui m'est indispensable. D'avoir cet espace pour stocker, pour produire, ... comme tu sais la céramique demande beaucoup d'espace ! Ça fait beaucoup de poussière, tu le mets pas dans ton salon quoi ! Ahah. Au départ, je m’étais installée dans l’entrée plutôt spacieuse de mon appart, j'avais essayé d'accueillir des personnes pour faire des cours, mais voilà je me suis vite rendue compte que ça n'était vraiment pas possible ! Puis si tu restes trop chez toi tu t'enfermes et tu ne respires plus, tu as l'impression d'asphyxier. Pour pouvoir avoir cet élan de travail aussi, je trouve qu'il faut pouvoir s'aérer et dissocier les deux : travail et espace privé. Avoir cet atelier me permet d'avoir mon espace de travail et de ne pas être chez moi à me disperser. Sans ça, il n'y a plus cette distanciation et tout se mélange, à la fin tu as l'impression de bosser tout le temps ou de ne rien faire du tout, quand bien même c'est le cas ! Si au moins tu te dis "Aujourd'hui j'ai été à l'atelier ! Je suis sortie et j'ai fait mon truc.", moi ça me fait du bien en tout cas.

PTA: Comment tu vois ton “insertion” dans le réseau art contemporain ?

M.P : De part mon travail et mes formats, je n'ai pas vraiment l'impression de m'y insérer actuellement. En tout cas, j'espère trouver des axes et des recherches pour y trouver ma place, et d'en faire partie par la monstration justement. Après, j'espère que ça pourra aussi se développer au gré des projets auxquels je pourrais prendre part dans l'avenir. Jusqu'ici mon travail n'est pas "estampillé" art contemporain, mais je vois les lignes qui bougent dans ce sens dans ma recherche artistique au fil du temps et des expérimentations. Je pousse dans ce sens.

PTA : Mais c'est vrai ! Je ne t'ai même pas demandé si au final tu avais l'envie de t'insérer dans ce "label" art contemporain ? ou dans une autre forme ? Si ton travail s’y inscrit ?

M.P : Je pense qu'à partir du moment où tu es dans la création et qu'en effet tu t'intéresses à ce qui se passe autour de toi, malgré tout tu es inspirée par ce que tu vois, ce que tu lis et ce que tu entends. Ça fait aussi partie de toute cette "famille" de soi disant "art contemporain". Mais c'est vrai que la céramique est pas mal catégorisée comme de l'artisanat. Je pense, moi aussi, que c'est un médium qui peut se prêter à toutes les disciplines au final. Dans ma pratique, je considère que je peux tout aussi bien faire des pièces artisanales ou pour du design, ou autre ... Honnêtement l'étiquette je m'en fiche, moi je fais des formes, du moment qu'une personne s'arrête et s'intéresse à mon travail, se demande ce que c'est, qu'il/elle y voit des choses, l'étiquette qu'il/elle lui donne, ça lui appartient. J'ai bien une vision personnelle sur la question, mais c'est vrai que quand tu peines à avoir un "label standardisé" sur ton travail, tu peux aussi te rendre compte que tu ne rentres nulle part. Ça m'est arrivé de me questionner sur cette vision, en me demandant si j'étais à côté de la plaque... Ce que j'aime bien dans l'art c'est ce truc de pouvoir partager et montrer des choses nouvelles  aux gens, s’évader. D’abord je le fais pour moi et si j’arrive à transmettre ces émotions tant mieux. Je me dis qu'un jour il y aura quelqu'un qui passera par là et qui se dira que ça vaudra le coup de croire en ce travail !

PTA : Puis c'est aussi une force de pouvoir avoir le séant entre deux, ...trois, quatre chaises ! Tu vois ce que je veux dire ? Je vais utiliser un mot un peu achalandé là, mais ça fait toute l'ipséité du truc ! Bref … Next ! ... Ah j'aime bien la question qui vient là ! Est-ce que, à titre personnel, tu t'es déjà sentie limitée dans le développement de ta carrière par ton âge, ton genre, tes origines ou autre ?

M.P : Non, je suis plutôt naïve, je pense que ce qui compte vraiment c'est le travail... Ça ne m'est pas arrivé personnellement en tout cas.

PTA : On en a parlé un peu avant, où tu me disais que c'était peut-être un peu frustrant en ce moment, tu en es où dans ta vie pro actuellement ?

M.P : Dans la gadoue ! Je rame ! J'aimerais bien que ça commence. Après, à un moment, j'ai aussi eu une sorte de faux espoir avec ce concours dont je te parlais. L'avoir gagné a été une grosse surprise pour moi et ça m'a peut-être envoyé trop haut trop vite tu vois. Je me suis dit "ah super j'ai ça donc après tranquille ça va rouler !", puis je me suis rendue compte, l'expérience aidant que ça n'était qu'une chose parmi tant d'autres. Depuis ça stagne, donc je continue à essayer de mettre le premier pied à l'étrier quoi.

PTA : Comment envisages- tu la suite après ? Admettons  : tout marche comme dans tes rêves, quel est ce scénario idéal ?

M.P : Avoir un atelier équipé avec un four. Dans mon idéal, je voudrais faire des pièces entre l'artisanat, le design et l'art. Des pièces sculpturales en céramique qui pourraient autant avoir leurs places dans une expo que dans une boutique ou un intérieur. Je veux juste produire, que ça plaise et en vivre.

PTA : Qu'est-ce que tu aurais aimé savoir ou entendre quand tu as commencé ce chemin là ? Te dire, "bah voilà je veux que ça soit mon activité principale et mon boulot c’est d’être artiste tous les jours de la semaine".

M.P : Je crois qu'au final si j'avais vraiment su je n'y serais peut-être pas allée ! Ahah Réellement, peut-être que si je m'étais vue ici il y a cinq ou six ans, j'aurais vraiment réfléchi ! Bon, si c'était à refaire je n'aurais pas hésité parce qu'il s'est passé pleins de choses et je suis heureuse malgré tout, je ne suis pas non plus à la rue, etc. Mais ouis peut-être que je serais partie directement vers des formations plus techniques en céramique ... 

PTA : Et tu as une réflexion personnelle pour améliorer les conditions de travail que ça soit pour toi ou les autres artistes ?

M.P : Je pense que ça serait intéressant de mettre davantage en commun justement. Un peu ce que tu essayes de faire, raconter les histoires de chacun.e. Parce que c'est tellement singulier les parcours des artistes, les histoires et les travaux que j'ai parfois l'impression que chacun.e fait "sa" voix mais ne voit pas réellement ce que peuvent vivre les autres. Ça serait génial de pouvoir mettre en commun tous ces savoirs, ces histoires, ça amènerait peut-être davantage de solidarité pour se serrer les coudes. Je dis ça parce qu'on sait ce que font les autres au niveau du travail avec les expos mais derrière on ne les connait pas vraiment. Évidemment on ne peut pas non plus connaître tout le monde mais je trouve qu'il y a quand même un individualisme assez marqué.

PTA : Tu te sens plutôt isolée, tu as un manque de sentiment communautaire ?

M.P : Je travaille dans un atelier partagé qui se trouve lui-même dans un ancien collège mis à disposition par la ville de Sète alors je ne suis pas isolée. Je pense juste qu’il faudrait plus  de lieux de "mise en commun". Comme ce qui se passe dans les écoles d'art en fait, ça devrait continuer après les études cette synergie dans le milieu professionnel. Ça peut aussi permettre de mettre en commun des réseaux, ça se fait déjà bien-sûr, mais renforcer ça. Déjà si tous les artistes pouvaient avoir un atelier ça serait génial ! Mettre à disposition des espaces, ça faciliterait la vie d'énormément d'artistes. Rien que ça, il y aurait beaucoup moins de personnes qui abandonnent tout.

PTA : Clairement ! Tu manges quoi le 5 du mois sinon Morgane ?

M.P : Des pâtes ! ahah Tous les jours ! Des raviolis quand c'est la fête !

PTA : Avec l'accompagnement aussi ça diversifie, parfois c'est de l'huile, parfois c'est du beurre ! Ahah. Bon allez c'est l'heure de raviver les cœurs ! Qu'est-ce qui te fait continuer dans cette voie ? Et t'accrocher ?

M.P : Je ne me verrais pas faire autre chose en fait ! Dans les moments où je pète des câbles et où je suis au fond du trou, je me dis "Qu'est-ce que tu pourrais faire d'autre ?". Donc je m'imagine dans d'autres positions, dans d'autres métiers et la conclusion c'est toujours que bah non, je ne tiendrais pas trois secondes ! J'ai besoin de mettre les mains dans la matière, faire des pièces. Même si j'avais un métier à côté et que ce n’était qu'un loisir, je pense que ça ne serait pas aussi libérateur. Quand tu fais le choix d'être artiste, je pense que tu as aussi quelque chose à exprimer, si jamais tu réfrénes ça, je pense que tu es hyper malheureux.se. Bon ! Comme tu disais ça ne fait qu'un an et demi que je suis sortie de l'école, donc ça n'est pas encore la cata et je continuerai encore un peu ! Parce que pour l'instant la restauration ne me fait pas rêver ! Ahah

PTA : Tu as une dernière chose à ajouter Morgane ?

M.P : Bah non, merci beaucoup Audrey !

PTA : Merci à toi ! D'avoir répondu à mes loooongues questions !!