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Préambule

Laura Molton est une jeune artiste vidéaste. C’est la contemplation qu’elle invoque dans son travail, le détail infime qui perturbera l’image et la composition visuelle, déjà là, si discrète et sauvage. Son regard observe et contemple. Laura est une guetteuse. Avec l’optimisme mais aussi le pragmatisme qui la définit, elle pose des interrogations suspendues sur son devenir d’artiste. Alors même qu’elle vient de commencer son cheminement professionnel. Elle observe son environnement avec beaucoup de recul, sur la précarité et le besoin d’avoir des artistes dans la société.

Le style de l'entretien reste oral pour garder la spontanéité de l'échange. L'écriture inclusive non-différenciée, c'est à dire le féminin ou le masculin venant en premier aléatoirement sur les mots genrés, est un parti-pris assumé. Car comme dirait une amie « Je ne suis pas qu'un « e » à la fin d'un mot ». Cette entretien a été réalisé en janvier 2020 en ère "pré-covidienne". Certains projets ou expos évoqués ont depuis été déplacés et/ou annulés mais d'autres ont aussi émergé ! Stay tuned pour des nouvelles des artistes interrogé.es et des « que sont-ils devenu.es ?! » ! Bonne lecture !

Paye Ton Artiste : Salut Laura. Merci d'avoir accepté de faire cet entretien avec moi ! Tu es donc Laura, Molton de ton nom n'est-ce pas ! Tu es plasticienne avec pour médium principale la vidéo. 

Tu commences à avoir quelques petites expos, ça ne fait pas trop longtemps que tu es sortie d'école. Mais je vais te laisser te présenter plus en détail toi-même. Qui es-tu ? et quel est ton parcours jusqu'ici ?

Laura Molton : Je suis Laura Molton, artiste et diplômée des beaux-arts de Toulouse depuis 2018. J’ai aussi étudié à l'Accademia di Brera à Milan. C'est pendant cet échange justement que je me suis rendue compte que je voulais vraiment faire de la vidéo. À Milan, je suis beaucoup allée au cinéma et j'ai participé à des festivals de cinéma et d’art vidéo. J'y ai découvert une scène artistique locale hyperactive et des artistes qui m’ont donné envie de me lancer vraiment. Pour mon projet de DNSEP1 j’ai fait le choix de ne montrer qu’une seule de mes pièces : un film, réalisé sur un an. Ce film s’appelle Dormance, il raconte l'histoire d'un champignon microscopique, entré en dormance pendant des années, sous les racines des platanes d’un cours d’eau, avant de resurgir aujourd’hui. C'est une histoire de survivance. Le film parle aussi des choses que l’on cache ou que l’on ne veut pas voir. 

PTA : J'adore le speech !

L.M : Donc pour résumer, je fais principalement de la vidéo. Je fais aussi de la photo mais je me concentre plus sur le format vidéo et le film. Mon travail tend de plus en plus vers la fiction. 

PTA : Et actuellement tu continues à développer ta carrière de plasticienne pour en faire ton activité principale ?

L.M : Oui, ça se met doucement en place ! Depuis août (2019), je travaille sur un projet de film sur la mémoire des sols. Tout a commencé par une expérience de fouilles sur un chantier archéologique en Normandie où j’ai été bénévole cette année. J'avais négocié avec le chef de chantier pour pouvoir filmer le chantier en même temps que je fouillais le sol avec l’équipe. J'ai montré une première version de ces recherches à la Maison Salvan2 à Labège en septembre 2019, la suite est en cours. En ce moment je monte des dossiers pour demander des subventions. Je veux retourner en Normandie pour poursuivre mes recherches pour le film parce qu’il commence à devenir ambitieux et que je suis bloquée financièrement. 

PTA : Ce sont de bien beaux projets, tu en as d'autres en ce moment ?

L.M : Tout est pas mal tourné vers ce projet-là, dans la Manche. La plupart du temps, je monte des dossiers pour des demandes de bourses et d’aides à la création. À côté de ça, je postule à des missions d'intérim pour gagner ma vie. Ahah. En fait je me détourne de la question, je me rends compte que je suis en train de parler de l'organisation de mon temps de travail ! Ah, et j’essaie aussi d’assurer la veille sur les réseaux sociaux. 

PTA : Totalement la base, c'est pas con ahah ! C'est du temps de travail !

L.M : Ce week-end je vais partir en stop à Paris. Je me rends au Théâtre des Amandiers3 à Nanterre pour suivre un séminaire sur l'anthropocène et la question des sols. Il y a deux artistes, dont je suis particulièrement le travail, qui y participent, Ariane Michel et Matthieu Duperrex. J’ai hâte ! 

PTA : Tu te souviens de la période où tu as décidé d'être artiste comme activité principale ? Tu t'attendais aux difficultés qui venaient avec ?

L.M : Je pense que ce qui m'a donné envie d'être artiste, enfin d’en faire vraiment mon métier, c'est d'avoir rencontré d'autres artistes épanouis et assumant pleinement cette vie-là. Je pense par exemple à Cédrick Eymenier, un artiste qui vit à Montpellier. Il était venu faire un workshop à l'Isdat, il avait aussi donné une conférence où il parlait de son dernier film avec une réelle passion et beaucoup d’évidence. Voir aussi certain.es de mes profs aux Beaux-Arts qui arrivaient à jongler entre l’enseignement et leur carrière artistique, ça m'a aussi confirmé des choses et donné la possibilité de me projeter. Dans ma famille, mon père est musicien et je l'ai toujours vu galérer, pour ce qui est de l’aspect financier, j’étais prévenue et ça ne m’a pas fait peur ! Ahah

PTA : J'allais y venir, comment ton entourage réagit à ton métier ?

L.M : Mes proches me soutiennent même si on ne rentre pas dans les détails de ma pratique où là, je les perds facilement. L'incompréhension va plus être du côté de mes grands-parents, où là c’est une autre génération, une autre mentalité par rapport au travail et à la nécessité de gagner sa vie “correctement” et de manière stable. Mon grand-père vient plutôt de la terre. Mes parents, eux, sont plutôt ouverts. J’ai le souvenir de ma mère qui m’emmenait voir des spectacles de danse, petite. 

PTA : Tu manges quoi le 5 du mois Laura ?

L.M : On est le combien là ?

PTA : Le 28 ! Le jour de l'actualisation Pôle Emploi ! Ahah

L.M : Aujourd'hui c'était pâtes au fromage ! Sinon, ça dépend des jours, parfois je vais acheter ou voler du saumon. J’essaie de pas trop focaliser sur mon découvert. 

PTA : Passons du côté de Monsieur l’état. Es-tu bien déclarée ? à la MDA ? à L'agessa ?

L.M : Je me suis déclarée à la Maison des Artistes juste après le diplôme. J'ai mis un moment avant de comprendre tout ça ! Et puis là, tout change en ce moment avec l’Ursaff Limousin, c’est pas simple.

PTA : Tu as été formée sur ces questions de statut juridique ? Que ça soit à l'école ou ailleurs ? Tu galères ?

L.M : Oui, je galère bien. Je m'en sors mieux avec l'entraide qu'il y a entre anciens des beaux-arts sur ces questions-là, on se relaie les infos. Pendant les études, il n’y a pas de modules spécifiques sur l’après-école, mis à part en fin de 4e et de 5e année, où à l’Isdat, il y a eu une intervention de Stefania Meazza4 du BBB Centre d’art. Elle est venue nous parler du statut d’artiste, de la fiscalité, des résidences artistiques et de leur cadre, de comment se déclarer, etc... Ce qui est dommage c’est que ça ne représente que deux ou trois journées d'étude sur cinq ans de cursus. Honnêtement ça n’est pas assez. Ça ne nous met pas en lien avec l’après, c'est-à dire, la réalité économique, la réalité tout court d’ailleurs ! Ce qui est fait est bien, on ne va pas cracher dans la soupe, mais je ne suis pas d'accord avec la mentalité qui est de dire que c'est à nous de faire la démarche si ça nous intéresse... Comment ça, “si ça nous intéresse” ? Pour une école et une filière déjà si incertaine et précaire, c'est dommage que ça ne soit pas quelque chose qui s'inscrit tout au long du cursus et qui puisse aussi se discuter ouvertement avec nos enseignant.es. Je me rappelle avoir choqué certain.es profs pendant mes études quand je leur posais des questions sur leur mode de vie, leurs revenus, leurs finances. C’est encore tabou l’art et son rapport à l’argent, même si de moins en moins heureusement. J’encourage les jeunes artistes ou diplômés à poser ces questions car même si elles sont désagréables à poser, elles sont légitimes et ne pas les poser nous éloigne de la réalité. 

PTA : Heureusement il y a eu quelques petites actions de menées ces dernières années. Type les post-diplômes ou comme les petits modules dont tu parlais. Malheureusement ça n'est pas dans toutes les écoles d'art et c'est encore très loin d'être des initiatives courantes. Même si tu ne maîtrises pas toutes les subtilités, j'imagine que tu sais bien que le statut d’artiste-auteure peut être assez ingrat. Une réflexion ?

L.M : C'est vrai que c'est un peu désespérant de ne pas être égaux sur ces points là par rapport à d'autres branches de métiers. C'est épuisant, ça peut décourager parfois dans sa motivation, son désir et sa carrière ces contraintes d'argent. Je suis en pleine réflexion en ce moment car je n'arrive pas à me projeter très loin dans le temps. Quand on veut vivre de son art, il y a toujours cette barrière monétaire. C’est le cas pour mon projet en Normandie. Maintenant j'ai presque peur de postuler à un job alimentaire à côté, je préfère les missions en intérim parce que je sais que les missions sont courtes et que j'en connais la durée. Alors que si j'ai un CDD sur toute une année, je craindrais que ça prenne toute la place dans ma vie et que ça m’empêche de développer mon activité de plasticienne.

PTA : Avec toutes ces histoire de fric, j'imagine bien que tu t'estimes vivre dans la précarité aujourd'hui ?

L.M : Ah oui complément ! Je suis à moins cinq cent euros ! Ahah. Autant pendant mes études, j'étais hyper autonome, je ne demandais pratiquement jamais d'argent à mes parents (de toute façon ils n'en avaient pas), mais aujourd'hui, je suis plus précaire encore qu'à l'époque. Alors que paradoxalement, je peux être au RSA. En réalité, j’ai eu un “problème” avec mes déclarations cette année. J’ai eu deux contrats en cessions de droits : le premier au Pavillon Blanc5 à Colomiers, dont j'ai reçu la somme en octobre. Le deuxième avec le centre d’art contemporain La Chapelle Saint-Jacques6 à Saint-Gaudens où j'ai été co-commissaire programmatrice pour un festival d'art vidéo. Comme tout m'a été payé au même mois, j’ai tout déclaré d’un coup, ça a fait une grosse somme d'argent dans ma compta. La conséquence est que cette déclaration a bloqué mes droits au RSA, alors que cet argent n’est resté qu’un mois sur mon compte : entre-temps, j'ai dû acheter du matériel vidéo. Concrètement, presque tout l'argent de ces contrats est parti dans cet achat. Après coup, je pense que j’aurais dû étalonner ces revenus sur plusieurs mois. Aujourd'hui mes droits au RSA ont donc été suspendus, sans argent concret sur mon compte ainsi que pour les trois prochains mois. 

PTA : Tu es demandeuse d'emploi donc, et potentiellement bénéficiaire du RSA quand tu peux.

L.M : Oui tout à fait !

PTA : On t'a déjà payé des droits d'exposition ou des droits d'auteur.rice ?

L.M : Oui en honoraires deux fois. Avec le centre d’art contemporain La Chapelle Saint-Jacques7 à Saint-Gaudens pour une vidéo que j'ai présentée et avec la Maison Salvan à Labège pour une exposition collective.

PTA : Par exemple tu vends tes œuvres ? Est-ce que ta production s'y prête ?

L.M : Pas encore, je n’ai pas encore vendu d’œuvres. 

PTA : Avec la vidéo, à part à des FRAC8 ou à des collections, vendre à des particuliers c'est plus coton.

L.M : Oui. J'imagine que ça sera toujours de la rémunération en droit de projection/diffusion. Si un jour je montre mon travail en festival, en expo, etc.

PTA : Tu l'as déjà survolé mais est-ce qu’à côté tu as des activités complémentaires liées à ton métier d'artiste ou au milieu de l'art ?

L.M : À côté de ma pratique, je vends des œufs au marché. Je suis oeillère ! Sinon deux contrats artistiques pour cette année 2019. Un avec le Pavillon Blanc qui m’a passé commande pour une série de vidéos. Le deuxième était un contrat de commissariat d’exposition avec la Chapelle Saint-Jacques où j’ai eu la chance de faire la programmation de la 2e édition du Let us reflect film festival avec Lucas Charrier. Expérience incroyable !

PTA : Au vu de ton année, pour toi quel serait l'objectif financier que tu te fixerais cette année qui vient ?

L.M : Cette année honnêtement je suis tellement focalisée sur mon projet de film sur la mémoire des sols, comme je te disais, que je veux à tout prix trouver des fonds et de l'argent pour ce projet. Je suis moins dans l'optique que l'année passée où j'avais besoin de collaborer avec des structures pour faire connaître mon travail. Cette année je voudrais vraiment mûrir ce projet personnel. Je songe aussi à des manières d'être rémunérée pour ma recherche. Le Post-Diplôme de l’école des Beaux-Arts de Lyon " Temps et histoire de l'art contemporain " m'intéresse beaucoup. Peut-être pour plus tard. Le post-diplôme prévoit une rémunération pour les artistes-chercheuse.eur sous forme de bourse de recherche. Comme la plupart des post-diplômes, ce post-diplôme offre un cadre, un soutien financier, une ligne de recherche et un réseau. 

PTA : C'est une question qui va venir par dessus ce qu'on a déjà évoqué, mais est-ce que tu arrives à donner une valeur à tes œuvres ? Est-ce que tu as une réflexion plus poussée sur le marché de l'art ?

L.M : C'est hyper abstrait pour moi. Honnêtement je n'en ai aucune idée. Je pense me faire aider, conseiller pour ça quand cela arrivera.

PTA : Alors direct on va embrayer sur tes conditions de travail, en commençant par le lieu. Est-ce que tu as un atelier ?

L.M : Pour l'instant je travaille chez moi, j'ai un bureau assez grand où il y a des milliards de post-it, des notes, des bouts de papiers griffonnés, des images et des textes découpés. Le mur de ma table de travail est déjà un endroit où je fais du montage. Sinon je travaille essentiellement sur mon ordinateur. J'ai besoin de calme, d'un bon écran, d’un bon casque. Je n'envisage pas d'avoir un atelier pour l'instant mais plus tard oui, quand ma situation financière sera plus “confortable”. Dans l'immédiat, on va dire que je suis bien comme ça. 

PTA : Ça t'arrive de travailler en collectif ou en collaboration ?

L.M : Pour mon film en cours, je collabore avec Pascaline Defontaines, une étudiante-chercheuse qui écrit de super poèmes de science-fiction. J’aimerais aussi collaborer avec la monteuse, Fatima Bianchi. C’est vraiment une question que je me pose de déléguer ou non le montage de mes films car c’est quelque chose que j’adore et que je ne veux pas perdre. C’est à la fois une envie et une crainte. 

J’ai aussi fais du montage pour l’artiste Zhenyu Zhou et assisté les artistes Catherine Radosa, Gaëlle Boucand et Valérie Du Chéné, c’est quelque chose que j’ai beaucoup aimé faire. Je trouve qu’on apprend énormément en voyant faire les autres. J'ai aussi collaboré avec des diplômés en design graphique de l'ISDAT9 pour l'affiche d'un film et sur d'autres projets, avec des amis artistes comme Léa Guintrand, Camille Uliana et Cécile Dumas.  

PTA : Tu arrives à quantifier ton travail ?

L.M : Wow. Par jour ?

PTA : L'unité qui te convient !

L.M : Beaucoup en fait. Je me lève, je pense à mon travail, je mange je pense à mon travail. Mon travail s'immisce jusque dans mes rêves et parfois se résout dans mes rêves...la nuit donne des indices au jour ! 

PTA : Oui ça revient souvent comme réponse ! ahah, C'est un truc que j'entends de manière récurrente chez les artistes que je côtoie ! C'est plus sur la répartition en pourcentage qu'ils répondent en général. Un tel pourcentage pour les dossiers, un autre pour la production pure et dure, l'autre pour les recherches ... Mais ça reste très difficile à quantifier. Tu as déjà reçu des bourses, des aides ou des prix ?

L.M : En 2019 j'ai reçu le prix Jeune Création du Pavillon Blanc à Colomiers. Il était très encourageant ce prix, assorti d'une petite somme d'argent et d’un texte sur mon travail, écrit par une critique d’art, que j’ai trouvé très beau. 

PTA : Tu en as un peu parlé mais as-tu déjà décroché des résidences ? Fait des expos solo ?

L.M : Je n'ai pas encore fait d'expo solo, des expos collectives oui. J'ai montré un film à la fête du court-métrage à Pantin à l'atelier W10 en mars 2019. J'avais été invitée par une de mes anciennes professeur, Catherine Radosa, à projeter un de mes films dans son atelier. En septembre, j'ai participé à une expo collective avec d'autres artistes à la Maison Salvan. En décembre, une restitution de résidence Territoire du travail initié par David Coste et Laurent Proux et Paul de Sorbier à la Maison Salvan encore. Pour début 2020, je vais présenter mon travail à lAdresse du Printemps de Septembre pendant le festival WeAct

PTA : Avec toutes ces expériences là, est-ce qu’à titre personnel tu as ressenti un manque de budget dans le secteur ? que ce soit dans les budgets de production, d'expo, d'honoraires...?

L.M : De manière directe je n'y ai pas encore été confrontée. Pour l'instant, je n'ai pas encore eu de budget de production et ça formate beaucoup mon travail. C'est forcément une contrainte le manque de moyens. Mais c'est aussi pour ça que je suis contente de faire de la vidéo, parce que c'est un médium très adaptable aux contextes et aux lieux. J'ai fait un investissement dans du bon matériel, mais au moins je le possède une bonne fois pour toutes et il s'adapte aux lieux et aux environnements. Mon médium me rend itinérante, d’ailleurs c’est une position que je recherche. Pour ce qui est de montrer, la monstration, s'il n'y a pas d'écran je peux envisager de projeter sur des surfaces in situ, des murs, des pierres. Le jour où j'aurai un budget de production conséquent, je serai heureuse aussi de pouvoir construire une structure, qu’elle soit en métal, en verre, en tissu, pour projeter et imaginer une mise en espace plus travaillée pour l’image. L’absence de budget justement ne me permets pas de l'envisager à l'heure actuelle.

PTA : Un peu dans le même genre, est-ce que tu as déjà eu de mauvaises expériences dans les conditions d'un projet auquel tu as participé ? Pas de rémunération, non respect du protocole de tes œuvres ou l’absence de défraiement par exemple.

L.M : Les rémunérations ont toujours été là, même si elles sont symboliques. Jusqu'ici, j'ai toujours senti l'effort financier des structures avec lesquelles j'ai collaboré. Sauf pour les festivals de films où là je n’ai pas été rémunérée. Par contre, ça m'arrive souvent de voir des appels à projet où ils ne rémunèrent pas en production, en droits d'auteur.e ou notes d'honoraires. Certes c’est une fierté d'exposer son travail, mais sans artiste, il n’y a ni expo, ni art ! 

PTA : Paiement en visibilité. Comme sur instagram, on paye en pub ! Niveau développement de carrière, il y a bien sûr les expos, le travail, etc ... Mais quand on pense "art contemporain" on pense aussi réseau. C'est un peu le nerf de la guerre au même titre que l'argent. Est-ce que tu te considères bien insérée dans ce réseau ? Tu t'y sens à l'aise ?

L.M : En tout cas j'ai l'impression que ça démarre bien. Je n'ai pas encore le recul. Quand il y a quelque chose qui m'intéresse, que ça soit une conférence, une expo, des séminaires, une rencontre avec un.e artiste, je me débrouille pour y aller. Je fais en sorte d'aller à la rencontre des personnes et des œuvres que j’admire. Après être partie au Kosovo deux années de suite participer à une école d’été avec le centre d’art contemporain Stacion, et après avoir étudié en Erasmus en Italie, je suis devenue plus à l’aise pour aller à la rencontre d’autres qui font de l’art. Je crois que je les ai aussi désacralisées ces personnes. J’essaie encore de poursuivre cette dynamique, ça me fait avancer dans mon travail et ma recherche. Je me sens plus légitime à parler à ces personnes parce que je nourris ce qui me rapproche d'elles par le biais de mon travail. Au fond de moi, je me fais ma "famille imaginaire" si tu veux.

PTA : Est-ce que tu t'es sentie limitée ou discriminée que ça soit par ton genre, ton âge, tes origines ou autres ?

L.M : Alors oui, ça m'est arrivé, par rapport à l'âge par exemple. Comme dans d'autres branches de métiers, quand tu postules, on te demande beaucoup d'expériences et en même temps si tu en as trop tu n'es pas pris non plus. Là je parle des résidences. Et à l’inverse, les résidences sont réservées aux gens de moins de 35 ans, ça me choque un peu. C’est hyper stressant, ça veut dire que tu as donc dix ans pour émerger et faire ta place. Sachant qu’après 35 ans, les appels à résidences te seront fermés. Pour les appels, au départ je les sélectionnais très précisément, maintenant je tente tout. Je ne crois pas que ce soit la bonne méthode non plus, on s’y épuise vite, sans retour ou nouvelles. Parfois quand un appel est très précis, tu ne rentres pas dans les "cases". J'avais vu un appel à résidence qui avait l’air génial, dans un centre d’art contemporain en Normandie où il fallait impérativement que le travail artistique soit photographique. C’est restreignant.

PTA : Parfois il faut juste les tenter, ça passe ! Comme ça au moins ils ont ton dossier, ils savent ce que tu fais. Quand on ne te prend pas sur un projet, on peut te proposer autre chose plus tard sur un autre ! Bon, bien sûr, ça peut vite devenir frustrant de faire des dossiers comme ça dans "le vide" mais tu pourras peut-être en récolter des fruits un jour !

L.M : Ce que tu me dis ça me fait rebondir sur la question de quantifier le temps qu'on passe à travailler. Parfois je vais passer des journées voire des semaines entières à postuler, envoyer des mails pour ne rien décrocher finalement. Il y a cette énergie et ce temps invisible qui peuvent à la fois nous ralentir et nous faire avancer, même si on n’en voit pas les effets tout de suite. Je peux aussi me sentir "limitée" dans mes approches quand par exemple, je souhaite contacter des diffuseurs.euses ou des structures pour faire connaître mon boulot. Cela peut me faire douter car je ne sais pas si c’est bienvenu ou non. J’ai l’impression qu’en Occitanie les personnes ont quand même davantage “le temps” qu’à Paris et que les structures qui sont à échelle plus humaine sont plus susceptibles d’être à l’écoute et de rencontres informelles !  

PTA : C'est toujours une histoire de "personne" et de manières de fonctionner dans une structure, sur qui tu tombes au final. Je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise approche dans l'absolu.(Mis à part peut-être se pointer direct à l'accueil avec des pièces sans book ?). Et actuellement, tu verrais comment l'évolution de ta carrière et de tes conditions de vie dans les prochaines années ?

L.M : Dans un futur proche, j'espère avoir une stabilité plus forte, j’espère que j'arriverai à gérer les temps entre boulot alimentaire ou intérim et des contrats avec des structures où je pourrai proposer des ateliers vidéos par exemple. Le Bal à Paris11 propose des contrats à des vidéastes : venir dans des écoles pour imaginer une création vidéo pendant quelques semaines. C'est très correctement payé et j’aime beaucoup les projets qui en découlent. C'est vraiment une super plateforme pour l'image Le Bal. C'est un lieu avec lequel j'aimerais beaucoup travailler. Dans un futur plus lointain, j'espère une stabilité plus durable, où j'aurai moins à jongler. Cette instabilité est tellement source de stress ! 

 J’aimerais aussi ajouter que l’échange et le partage sont devenus primordiaux pour moi. Je souhaite dans le futur, monter ou intégrer un collectif ou même une société de production de films d’artistes pour justement avoir cette possibilité d’échanger des savoirs-faires, des expériences, des connaissances et expérimenter des formes de soutien, dans lesquels je pourrais faire grandir mes projets, mais aussi ceux des autres.  

PTA : Qu'est-ce que tu aurais aimé entendre quand tu as commencé tes études d'art ?

L.M : Je ne sais pas trop quoi te répondre parce qu'il y a des choses que j'ai bien aimé apprendre toute seule. Si je ne les avais pas apprises par moi-même, les choses qui n'étaient pas possibles, je ne les aurais sûrement pas tentées. Alors il y a des choses que j'ai préféré ne pas savoir, ça a laissé la place à la spontanéité de certaines de mes démarches et rencontres. Le milieu artistique est fait de codes, mais en vrai, la spontanéité et se passer de codes un temps, peut briser la glace plus vite et c’est là que juste, on accède à l’humanité de la personne. 

PTA : C'est un bon état d’esprit oui. Tu veux ajouter quelque chose ?

L.M : Sinon quoi ?... Qu'il faut avoir plusieurs cerveaux en même temps ? Ahah, un cerveau "comm’", un cerveau "avancement de projet", un cerveau "finances", etc...

PTA : Tu as des pistes de réflexions personnelles pour améliorer les conditions socioprofessionnelles de toi et de tes pairs artistes ?

L.M : Il y a plein de choses à dire. Une que j’ai en tête concernant une partie des gens qui font vivre l’art, c’est d’établir un lien plus évident entre les collectionneurs.euses d'art et les artistes et de les sensibiliser à la jeune création. C'est dommage de n'acheter que des artistes déjà disparu.es ou seulement très confirmé.es. Modifier ce statut aussi évidemment ça pourrait être intéressant. Récemment, je me suis posée la question de l'intermittence, parce que je fais de la vidéo. Après il faut faire ses heures, sinon tu es mal et l’intermittence est possible seulement sous certaines activités spécifiques. 

PTA : Pour finir sur une note un peu plus joyeuse, qu'est-ce qui te fait continuer malgré toutes les difficultés ? que ce soit la précarité, le développement...

L.M : Pour parler d’une note plus joyeuse, je dirais qu'il y a des personnes très sensibles dans cette branche-là, des sensibilités que j'aime rencontrer, qui me font aussi me sentir moins seule. L’art c’est un moyen pour moi de me relier aux autres. Et ma vie serait déprimante si je la consacrais à autre chose ! 

PTA : J'arrive au terme de mes questions. Tu veux ajouter quelque chose ?

L.M : Que ça a été dur pour moi personnellement de me projeter par rapport à certaines questions parce que je sens que le monde et la société ne vont pas bien.

PTA : Une note joyeuse on avait dit ! ahaha

L.M : Ahah, non mais c'est vrai du coup tu te demandes comment ça va finir tout ça ? Du point de vue climatique, écologique, ça me questionne énormément sur ce que vont devenir mes priorités dans le futur, où vont se situer mes engagements. Toute société, même en période d'apocalypse, aura besoin d'artistes, mais jusqu'à quel point ? 12

PTA : Ça sera les premiers qu'on mangera ! Ahah, merci Laura d'avoir répondu à toutes mes questions !

L.M : Merci à toi !

 


1 Diplôme National Supérieur d’Expression Plastique : Niveau Master

2 Centre d’art à Labège (Haute-Garonne)

4 Chargée des formations pour les artistes au BBB centre d’art, elle a également eu droit à son interview sur PTA

5 Pavillon Blanc Henri Molina Médiathèque | Centre d’art de Colomiers (Haute-Garonne)

6 La Chapelle Saint-Jacques Centre d’art à Saint Gaudens (Haute-Garonne)

7 voir Ndp 6

8 Fond Régional d’Art Contemporain

9 Beaux-Arts de Toulouse

12 Nostradamus sors de ce corps !!